Si l’inflation n’est pas un problème, pourquoi les taux d’intérêt sont-ils si élevés?
Rédigé par : Gustavo Indart, professeur émérite au département d’économie de l’Université de Toronto
Source : The Toronto Star
Comme prévu, le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a maintenu sa position sur les taux d’intérêt le mercredi 24 janvier.
Dans sa déclaration, il a indiqué que les discussions de la Banque « sur l’orientation de la politique monétaire ne visent plus tant à déterminer si les taux sont assez restrictifs, mais plutôt combien de temps il faut les maintenir au niveau actuel ».
Par conséquent, la question que les analystes se posent maintenant est : à quel moment la Banque commencera-t-elle à réduire les taux d’intérêt?
Il n’y a pas si longtemps encore, de nombreux économistes et financiers croyaient que la Banque du Canada commencerait à baisser les taux d’intérêt en avril. Aujourd’hui, ils reconsidèrent cette prévision, car l’inflation sur 12 mois a atteint 3,4 % en décembre, contre 3,1 % le mois précédent.
Et, quoique pour une raison autre que l’inflation persistante, ils ont désormais tout lieu de croire que la Banque commencera à abaisser les taux d’intérêt au plus tôt en juin.
Il ne fait aucun doute que la remontée de l’inflation globale en décembre n’a surpris personne, car elle était entièrement attribuable à l’effet de base du mois.
En effet, l’inflation sur 12 mois a augmenté malgré le fait que les prix moyens ont baissé de 0,3 % en décembre. Autrement dit, l’inflation sur 12 mois a atteint 3,4 % parce que les prix ont baissé davantage au cours du mois de référence (-0,6 % en décembre 2022) qu’en décembre dernier.
Les prix moyens ont baissé, et pas seulement au mois de décembre. Au dernier trimestre de 2023, les prix ont diminué à un taux annualisé de 0,5 %. Nous sommes donc actuellement en période de déflation, et non d’inflation.
De plus, bien que l’IPC ait augmenté depuis juin, il n’a progressé qu’à un taux annualisé de 1,4 % au cours des six derniers mois de 2023, soit un taux inférieur à la cible d’inflation de 2 % de la Banque.
Il semble donc que l’inflation des prix ne devrait pas être un sujet très préoccupant pour le moment. Par conséquent, la Banque du Canada ne peut invoquer la ténacité de l’inflation sur 12 mois pour maintenir les taux d’intérêt à leur niveau actuel de 5 %.
Si la Banque décide de maintenir le taux directeur inchangé en avril, ce sera pour une autre raison.
Il semble que la principale préoccupation de la Banque ne soit pas, et n’ait jamais été, l’inflation des prix, mais plutôt l’inflation des salaires. En effet, les dirigeants de la Banque ont déclaré à plusieurs reprises que les augmentations de salaire annuelles de l’ordre de 4 % à 5 % ne sont pas conformes à la cible d’inflation de 2 % et que, sur 12 mois, les salaires ont augmenté de 5,4 % en décembre.
Les salaires ont donc augmenté plus rapidement que les prix en 2023 et pourraient alimenter l’inflation.
« Une spirale prix-salaires est peut-être en train de se former », s’écrient les pourfendeurs de l’inflation. Pourtant, les faits laissent penser le contraire.
En décembre, par exemple, les salaires moyens ont augmenté de 0,5 %, tandis que les prix moyens ont reculé de 0,3 %. Les salaires n’ont donc pas alimenté l’inflation en décembre.
De plus, pour les trois derniers mois, les salaires ont augmenté à un taux annualisé de 5,3 %, tandis que les prix ont baissé (et non augmenté) à un taux annualisé de 0,5 %. Les salaires n’ont donc pas non plus alimenté l’inflation au dernier trimestre de 2023.
Plus important encore, au cours des six derniers mois, les salaires ont augmenté à un taux annualisé effarant de 8,2 %, comparativement à la hausse des prix de seulement 1,4 %. Il est donc certain que les salaires n’alimentent pas l’inflation.
Les salaires ne font que récupérer lentement le pouvoir d’achat que les travailleurs ont perdu pendant la période d’inflation induite par l’offre depuis le début de 2021, sans toutefois provoquer de spirale prix-salaires.
Et ce processus a encore du chemin à faire, puisque les prix ont augmenté de 15,2 % au cours des trois dernières années, alors que les salaires n’ont augmenté que de 14,1 %. Les salaires réels d’aujourd’hui sont donc encore inférieurs à ceux de décembre 2020.
Mais si l’inflation n’est pas un problème et que les salaires n’alimentent pas l’inflation, pourquoi la Banque du Canada maintient-elle les taux d’intérêt à un niveau aussi élevé?
L’une des raisons possibles est qu’elle veut éviter une dépréciation du huard qui pourrait avoir une incidence négative sur l’inflation. En effet, nous ne vivons pas en vase clos et toute décision de la Banque d’abaisser les taux d’intérêt doit être prise parallèlement à une décision semblable de la Réserve fédérale américaine afin de préserver la valeur du dollar canadien.
Une autre raison possible est que la Banque tente d’empêcher de nouvelles augmentations de salaire pour protéger les marges bénéficiaires des entreprises. Si telle est son intention, elle n’a pas encore porté ses fruits, même si le chômage a augmenté de près d’un point de pourcentage, ce qui représente environ 150 000 Canadiens de plus au chômage.
Si c’est la raison pour laquelle la Banque du Canada ne réduit pas les taux d’intérêt, alors elle devrait répondre à la question suivante : dans quelle mesure le chômage doit-il augmenter pour que les augmentations de salaire baissent dans la fourchette de 2 % à 3 % qu’elle considère comme conforme à la cible d’inflation de 2 %?
Difficile à dire. Quoi qu’il en soit, les marges bénéficiaires ne devraient pas être augmentées au prix d’une baisse des salaires, mais plutôt au moyen d’une augmentation de la productivité. Par conséquent, le Canada n’a pas besoin d’une hausse des taux d’intérêt pour réduire la demande de main-d’œuvre ni d’une immigration plus importante pour augmenter l’offre de main-d’œuvre.
Ce dont le Canada a besoin, c’est d’accroître sa productivité. Or les salaires réels élevés et en hausse constituent la meilleure incitation pour que les entreprises se lancent dans des investissements visant à accroître leur productivité.
Il ne fait aucun doute que ce serait le meilleur scénario possible : une situation gagnant-gagnant pour le capital et la main-d’œuvre.
Gustavo Indart est professeur émérite au département d’économie de l’Université de Toronto.
Cet article a été rédigé par Gustavo Indart, professeur émérite au département d’économie de l’Université de Toronto, de The Toronto Star et sa publication a été autorisée par le réseau d’éditeurs DiveMarketplace d’Industry Dive. Pour toute question sur les droits de reproduction, veuillez écrire à legal@industrydive.com.